Chaque semaine, Le nouvel Economiste révèle un tempérament à “l’Hôtel”, rue des Beaux-arts. Paris VIe. Portrait d’une femme de tête, longtemps perçue comme une femme de chiffres, en passe de dévoiler la structure bicéphale de son identité et de sa quête. Par Gaël Tchakaloff.
Surprise du chef. Le meilleur d’entre nous s’y connaît en cuisine politique. Le 28 janvier dernier, Alain Juppé n’a pas ménagé son effet en révélant la présence de Virginie Calmels sur sa liste aux prochaines élections municipales de Bordeaux.
“Je préfère le voyage à la destination.” Ce n’est pas la base line d’une compagnie aérienne. Juste le credo de Virginie Calmels. Tout ce qu’elle est tient résolument dans cette courte phrase inspirée de Stevenson. Goût de l’aventure, Graal de la découverte, sens du risque et de la remise en question, volonté orgueilleuse d’élever toujours davantage son âme et son esprit, quitte à briser la route toute tracée d’une carrière éclair. Présidente du conseil de surveillance d’Eurodisney, administrateur indépendant d’Iliad (Free) et du Medef Paris, ex-directrice générale d’Endemol Monde… A 42 ans, Madame a un brin vécu. Loin d’elle, pourtant, les caricatures que certains ont voulu tailler. Cost-killeuse, négociatrice acharnée, financière obsessionnelle de l’ebitda… Depuis dix ans, la Margaret Thatcher des médias a été enfermée dans une image trop réductrice bien qu’en partie réelle, antonyme de sa nature profonde. “Si l’on me parle de Bordeaux et de politique, on me prend par les sentiments”, lance t-elle, malicieuse. Les sentiments ? Vous l’aurez sans doute compris, “la fausse tendre”, telle qu’elle s’amuse à se définir, est bien plus affective et passionnée qu’elle ne voudrait bien le laisser paraître.
Ecoutez plutôt Xavier Niel, fondateur de Free, qui, lui non plus, n’est pas un as du langage “feux de l’amour” : “Virginie Calmels est une véritable entrepreneuse et une grande négociatrice. Elle apporte à Free son savoir-faire et sa connaissance des médias. Sa sensibilité la conduit à être attentive aux êtres et aux choses, à détecter l’état d’esprit de ceux qui l’entourent pour s’en emparer et leur apporter en retour une profonde empathie.” Bel éloge du cœur. Quant à la politique, à y regarder de plus près, la jeune femme a, depuis quelques années, souvent laissé entendre, au gré de ses interviews, qu’elle souhaitait, plus tard quand elle serait grande, rejoindre un rêve. Celui qui donne du sens à un parcours. Celui de son terreau familial. Celui de ses racines. Celui qui répond en tous points à son caractère pragmatique et décideur. “J’ai toujours pensé m’engager en politique au niveau local. Par goût de l’action concrète, encadrée dans un périmètre clair. Par volonté de réaliser des propositions tangibles, qui répondent aux besoins de la vie quotidienne de la Cité. Par nature, je suis étrangère aux jeux d’appareils de la politique politicienne.” Rien à redire. Madame n’a pas encore été touchée par le syndrome de la langue de bois. Rendez-vous dans quelques mois.
Un beau jour ou peut-être une nuit
“Le hasard n’existe pas.” Joli titre d’un livre qu’elle écrit pour ses enfants, qui a de fortes chances de demeurer dans la sphère privée… Pour Virginie, comme le disait Jean Cocteau, “le hasard est la forme que prend Dieu pour passer incognito.” Virginie est croyante, mais pas uniquement sur le terrain religieux. Elle a la foi en ce qu’elle fait, embrassant ses différents métiers autant que les entreprises qu’elle dirige comme si ce devait être le dernier. “C’est une femme opiniâtre et déterminée, dont le moral de gagnante est décuplé par un véritable sang-froid. Elle est toujours totalement impliquée dans ce qu’elle fait et ne s’arrête jamais, tout en sachant prendre les décisions qui s’imposent”, indique Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6 et administrateur du club des Girondins de Bordeaux. Sup de Co Toulouse, Insead, expertise comptable, directrice financière du groupe NC Numéricable à 27 ans, directrice générale déléguée de Canal Plus à 32 ans, PDG d’Endemol à 36, directrice générale monde 5 ans plus tard, plus jeune présidente d’un conseil de surveillance de grande société (Eurodisney)… Canal Plus, Endemol, Eurodisney, pesant chacun environ 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Pas mal.
Contre toute attente, elle n’a jamais construit de plan de carrière, elle n’a jamais égratigné ses convictions au bénéfice de stratégies du lendemain. Quitte à démissionner alors qu’elle pourrait se satisfaire d’avoir atteint ses objectifs. Miss Calmels n’aime pas ronronner. Tel un taureau lancé dans l’arène, Virginie a traversé la vie au gré de ce qu’elle pensait être des apprentissages nécessaires. Ce que l’on sait moins, c’est que Virginie est parcourue de fulgurances, en dépit d’une rationalité et d’une logique implacables. Fulgurance pour l’entrepreneuriat, lorsqu’elle entend François Pinault à la Cité de la Réussite en 2002, expliquer son parcours. Onze ans plus tard, elle crée sa société. Fulgurance pour démissionner d’Endemol en 2013, en faisant ses cartes de vœux, réalisant alors qu’elle y sévit depuis dix ans. Fulgurance de l’amour familial, à 29 ans, lorsqu’elle décide d’écrire une lettre à ses parents, les remerciant de tout ce qu’ils ont fait pour elle (“Tout ce que je suis, c’est grâce à vous”), tandis que son père disparaîtra une semaine plus tard. Fulgurance pour l’engagement politique, lorsqu’elle s’aperçoit rêver depuis trop longtemps au service de l’intérêt général, alors que son emploi du temps lui permet enfin, d’accomplir sa liberté de choix. Elle refuse depuis six mois tous les postes exécutifs qui lui ont été proposés pour se consacrer à son avenir bordelais… L’animal se construit dans la réflexion, refuse souvent les (nombreuses) propositions. Attend la foudre des évidences.
Raison et sentiments
Un robot de cartésianisme pensent, tout bas, certains des grands patrons qui la côtoient. Dieu qu’ils sont loin du compte. “Au nom de l’amour, tout est possible.” Virginie l’affirme. Parce qu’elle est le fruit d’une histoire théoriquement impossible. Deux parents mariés et ayant des enfants, chacun de leur côté. Un coup de foudre. Suivi de l’acharnement à vivre ensemble, dans la société des années soixante-dix. Voilà qui éclaire davantage le cœur de Virginie. Mais il y a aussi son terreau, ses racines, ses valeurs, son histoire. Née à Talence, d’une mère vivant à Bordeaux et d’un père rapatrié d’Algérie qui a tout perdu lors de l’indépendance, Virginie a effectué sa petite scolarité à l’école du Bon-Pasteur de Bordeaux. Sa sœur y vit encore. Son père est enterré à Gradignan. “Je suis apaisée et sereine pour travailler, m’épanouir et développer mon activité à Bordeaux. Parce que j’aime le beau. C’est une ville idéalement située géographiquement, incontestablement rayonnante et attractive.”
Au nom de la politique, tout est possible aussi. Alors Virginie a implanté sa société, SHOWer Company, dans la cité du Sud-Ouest. A ce titre, elle accompagne des prises de participation dans les médias et travaille avec un gros fonds anglo-saxon à des investissements dans ce même secteur. Solidement implantée dans le monde des médias depuis quinze ans, Virginie avait d’ailleurs été amenée à croiser Isabelle Juppé au sein du groupe Lagardère, dans lequel cette dernière exerce des responsabilités… Oui, la politique justifie tout, parce qu’elle semble couler dans ses veines depuis l’enfance. La fillette fan de L’heure de vérité deviendra la professionnelle imposant à Endemol la production de docu-fictions politiques sur Edouard Balladur (qui lui a, d’ailleurs, remis sa décoration de Chevalier de l’Ordre national du Mérite). L’enfant qui connaît par cœur la composition du gouvernement de François Mitterrand en 1981 deviendra la femme politique qui décide de rejoindre la liste d’Alain Juppé , après quelques rencontres, “parce qu’il est un homme d’Etat, de vision, qui a une dimension locale et nationale. Un homme qui obtient des résultats et a accompli un travail exemplaire à Bordeaux.” Ce à quoi répond Alain Juppé : “J’ai choisi Virginie Calmels pour ses qualités. Elle a des attaches réelles avec Bordeaux.
Elle est représentative des nouveaux Bordelais qui reviennent aux pays. Le fait d’être issue de la société civile représente un atout et une forte attente. Le monde de l’entreprise et de la politique n’ont pas suffisamment d’interactions. Commencer par une expérience municipale est résolument une bonne méthode, à l’inverse des parachutages de grands patrons à des fonctions gouvernementales. La politique ne doit pas être le pré carré des professionnels de la politique.” Virginie, dont le père était président de la Fédération française des associations de commerçants et vice-président du Conseil national du commerce, engagé aux côtés de Valéry Giscard d’Estaing en 1981, Virginie dont la mère défend des idées social-démocrates, cette même Virginie est la femme d’une droite modérée, d’une droite sociale. Attirée par les valeurs de feu l’UDF, mais également proche de la social-démocratie un temps prônée par Dominique Strauss-Kahn, l’entrepreneuse est bien éloignée de l’idéologie partisane et n’a jamais été encartée. A son panthéon politique figure la séquence Thatcher-Blair, “parce qu’il faut casser le système par un électrochoc avant de construire une politique social-démocrate”.
L’aventure c’est l’aventure
Cofondatrice de l’association caritative de réinsertion “Ares coop”, vice-présidente du Centre d’étude et de prospective stratégique (CEPS), éprise de transmission (elle intervient régulièrement au sein de nombreuses écoles telles que l’ESC, l’ESCP, HEC, IEP ou l’Essec), mademoiselle Calmels a, depuis longtemps, développé des activités parallèles, une vie citoyenne, à côté de son chemin professionnel. En ce qui concerne Bordeaux, il s’agit d’une tout autre affaire. “Sa maîtrise des questions financières et des techniques d’organisation, son attachement et son amour pour la ville de Bordeaux, dans laquelle elle est née, sont autant de moteurs pour saisir la chance de pouvoir apprendre l’action publique auprès d’Alain Juppé”, souligne Christian Blanc, ancien secrétaire d’Etat au Grand Paris. Alors, bien sûr, son expérience issue de la direction de grands groupes et son expertise financière, managériale et opérationnelle laissent penser qu’elle est la personne idoine, par exemple pour s’occuper des finances de la ville, mais aussi pour participer au tissage de son lien à l’international, drainer des talents, développer son attractivité.
D’un autre côté, Virginie, amie, à titre personnel, d’hommes politiques de droite comme de gauche (certains des Gracques, notamment), détachée des systèmes partisans, convaincue qu’il faut “faire de la politique autrement” et novice dans ce domaine, pourra-t-elle exister dans un environnement différent du sien ? “Je ne me prends pas pour ce que je ne suis pas. Je crois à la complémentarité des talents et à l’apprentissage. Ce que j’aime sur cette planète, ce sont les gens qui tirent vers le haut.” Evidemment, toujours modeste, elle ne parle pas d’elle. Mais la question de la relève d’Alain Juppé dans six ans a traversé tous les esprits lors de l’annonce de la présence de Virginie Calmels sur sa liste. “A ceux qui émettent des remarques sur l’hypothèse de ma relève à Bordeaux, je réponds : Calmez-vous ! Nous ne sommes qu’en 2014, pas en 2020. Cela laisse six ans pour faire émerger d’éventuels successeurs”, indique l’actuel maire de Bordeaux. Plusieurs fois déjà, Virginie a choisi de sauter dans le vide, en démissionnant de Canal Plus, puis d’Endemol. Selon Nonce Paolini, PDG du groupe TF1, qui salue son “respect de la parole donnée”, “son goût du pari doublé d’une approche distanciée et pleine d’humour de l’existence expliquent qu’elle peut être audacieuse dans la vie des affaires tout en faisant le saut de l’ange dans son propre parcours !”… Plus facile, direz-vous, lorsque la vente d’actions, comme elle l’a fait avant de quitter Endemol, permet d’oublier les contraintes matérielles. En s’investissant à Bordeaux, Virginie Calmels ne recherche donc ni la notoriété ni l’argent (les deux étant déjà acquis). Il y a autre chose, de l’ordre du dépassement personnel. Une approche presque mystique. Une fois de plus, Miss Calmels a la foi. Préparez les sermons. Prochain rendez-vous politique en 2020 ou… en 2017 ?.