Figure de l’entrepreneuriat féminin en France, Virginie Calmels, l’ex-dirigeante d’Endemol Monde, vient d’être nommée adjointe à la mairie de Bordeaux, en charge de l’Économie, de l’Emploi et de la Croissance durable. Elle dévoile en exclusivité à La Tribune Objectif Aquitaine – qui lance son nouveau site ce lundi soir – sa feuille de route pour hisser l’économie bordelaise au rang de métropole européenne.
LA TRIBUNE – Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager en politique à Bordeaux?
VIRGINIE CALMELS – C’est ma ville de coeur. Je suis née ici et j’y ai des attaches familiales. Lorsque j’ai quitté Endemol, il y a un an, j’ai choisi de créer mon entreprise, SHOWer Company, qui travaille avec un fonds de «large cap», et c’est à Bordeaux que je l’ai installée.
Je fais partie des chefs d’entreprise qui se sont sentis en souffrance, incompris du pouvoir politique avec l’arrivée de François Hollande à l’Élysée, qui a stigmatisé ceux qui réussissent, fait fuir les investisseurs étrangers, ce qui est inquiétant pour la France.
Alors, au lieu de quitter le pays ou de critiquer, j’ai choisi de m’engager. Cette volonté était connue. Alain Juppé m’a proposé de le rejoindre dans son équipe. J’ai accepté, car il fait partie de ces rares hommes politiques qui mettent l’économie, l’emploi, au coeur des priorités de leur mandature. Pour cela, j’ai refusé tous les postes exécutifs qui m’ont été proposés. Ceci étant, je suis avant tout une femme d’entreprise et j’entends le rester. Ma volonté est de créer des ponts entre les mondes économique et politique.
Alain Juppé s’est fixé comme objectif d’atteindre le million d’habitants dans la communauté urbaine de Bordeaux d’ici à 2030 et de créer 75.000 emplois. Comment allez-vous faire pour renforcer le tissu économique local ?
Pour permettre à l’économie de franchir un cap, nous voulons faire de Bordeaux la première ville de France, s’inspirant de « Connect », un projet américain né à San Diego. L’objectif est d’amener les différents acteurs (entrepreneurs, industriels, financiers, chercheurs, etc.) à travailler ensemble par projets, et d’aller chercher des financements.
Aujourd’hui, on fonctionne encore trop de manière cloisonnée. Aux États-Unis, où il a été repris à l’échelon national, ce système a stimulé de nombreuses sociétés et la création d’entreprises. Le projet « French Tech » est déjà une sorte de « Connect » du numérique.
À Bordeaux, la mobilisation des acteurs locaux du numérique pour décrocher le label a rassemblé plus de 1.000 professionnels en une soirée, le 14 avril. Porté par les entrepreneurs et les partenaires que sont la communauté urbaine de Bordeaux, la ville, la région et la CCI, ce projet doit permettre aux entreprises d’accéder à des financements publics, mais aussi des fonds privés.
L’idée est de développer cette logique à Bordeaux sur les grandes filières stratégiques : le numérique, le vin, l’aéronautique, le nautisme, le tourisme, le laser, la santé, le tertiaire supérieur, le bois, le commerce, etc. Ma feuille de route est de faire en sorte que ces pôles soient identifiés et rayonnent en France et à l’international. De par mes mandats dans les conseils d’administration d’Eurodisney, d’Iliad (Free), de Technicolor ou du Medef Paris, je vais conserver des liens réguliers avec la capitale, mais aussi à l’international, et pouvoir y porter la parole de Bordeaux et de ses entreprises.
Pour créer des emplois, vous misez notamment sur le numérique ?
Oui. Avec ce secteur, nous espérons créer 25.000 emplois d’ici à 2030 dans la communauté urbaine. En la matière, Bordeaux a beaucoup d’atouts. C’est désormais la troisième ville française pour les jeux vidéo. Dans les TIC de la santé, l’Aquitaine est déjà le leader français avec 1.000 emplois privés et 45% du chiffre d’affaires national.
Actuellement, la filière numérique représente plus de 15.000 emplois directs sur l’agglomération bordelaise et plus de 4.000 entreprises de toutes tailles : des start-up, des entreprises en forte croissance ou leader, comme CDiscount. Nous allons les aider à lever des fonds publics et privés pour leur développement.
Il est question aussi d’instaurer un conseil des entrepreneurs. Quelle sera sa mission?
Le politique doit être un facilitateur, en se mettant au service des entrepreneurs. Mais, il doit aussi impliquer davantage les acteurs de l’économie locale dans les processus de décision. Il faut que ce soit concret. Étant tous déjà très occupés, il faudra également leur donner envie de revenir. Par exemple, en faisant intervenir un invité d’envergure nationale ou internationale.
Je pense notamment à Philippe Bourguignon, ancien PDG d’Eurodisney et du Club Med, qui a mis en oeuvre « Connect » à Washington, ou à des figures du numérique comme Xavier Niel, le patron de Free, pour amener leur vision et faciliter d’éventuelles levées de fonds ou faire naître des projets. Avec mon expérience, j’espère apporter un relationnel qui sera facilitateur.
Quelle sera votre méthode ?
Ouverture, écoute, transparence, partage, esprit d’équipe. Voilà pour l’état d’esprit. Mon objectif est de casser les silos, de créer des ponts entre mondes économique et politique. Je suis de nature «cash» et j’aime que les choses avancent.
Que manque-t-il aujourd’hui à Bordeaux ?
Il manque de grandes entreprises ayant leur siège ici, de grosses locomotives, comme les Mulliez dans le Nord et les Mérieux à Lyon. C’est historique, il faut faire avec. Mais, tout le travail d’attractivité a été réalisé.
Bordeaux figure en tête de nombreux classements : c’est l’une des villes françaises qui a le plus fort taux de création d’entreprises, la destination privilégiée par les jeunes cadres parisiens, la deuxième ville française la plus attractive pour une implantation d’entreprise… Il faut désormais capitaliser sur ces réalisations et attirer à Bordeaux les filiales de grands groupes.
Aller leur dire à Paris que s’ils s’installent ici, ils pourront attirer et fidéliser les talents, car la ville est dynamique et apporte une vraie qualité de vie. L’arrivée de la LGV et le futur quartier d’affaires Euratlantique y contribuent. J’espère bien que les prochaines années seront celles de l’ère Bordeaux !
Certains observateurs de la vie politique locale pensent qu’Alain Juppé a fait de vous son successeur, quelles sont vos ambitions ?
Ce n’est pas d’actualité. Je n’attends rien à titre personnel. Je ne suis pas une femme politique. D’ailleurs, je ne suis pas encartée. Ce sont les médias qui se projettent à ma place. Moi, je n’ai pas de plan de carrière. Je le vis comme ma contribution personnelle à l’intérêt général. Si on réussit à attirer les entreprises et à développer l’emploi, je considérerai que j’aurai réussi ma mission.
FOCUS L’itinéraire éclair d’une surdouée
Après des études de management à l’ESC Toulouse et à l’INSEAD, Virginie Calmels, qui débute comme auditrice financière, intègre le groupe Canal+ comme directrice financière de l’international et du développement, avant de devenir directrice financière, puis directrice générale déléguée de Canal+.
Recrutée par Stéphane Courbit, elle devient directrice générale d’Endemol France à 32 ans seulement, en 2003, avant d’être nommée PDG d’Endemol France en 2007, puis directrice générale d’Endemol Monde en 2012.
Elle est actuellement présidente du conseil de surveillance d’Eurodisney, administratrice de Free et bientôt de Technicolor (ex-Thomson) et présidente de sa société SHOWer Company, à Bordeaux.